mardi 19 juillet 2016

"L'Homme qui tua Lucky Luke" de Matthieu Bonhomme



Cela faisait un bon bout de temps que je n'avais pas mis le nez dans un Lucky Luke. Pourtant, entre un Astérix et un Yakari, j'ai passé de très bons moments avec lui (hum, un peu étrange cette phrase...). Mais heureusement, Matthieu Bonhomme est arrivé, et grâce à lui je dois dire que mes retrouvailles avec Luke ont été un grand bonheur!
  
Dans ce tout nouvel album, Matthieu Bonhomme revient aux sources du western, et nous offre un portrait profond et plus humain du plus célèbre cowboy d'Europe de l'ouest ! Le début de la bande-dessinée est un choc, puisqu'on voit Luke à terre, abattu d'une balle dans le dos! Comme pour tous les grands héros, on se dit, bien sûr, que c'est une erreur, une entourloupe, un sale tour! La suite de l'histoire est un flash back pour expliquer comment le bien nommé Lucky Luke en est arrivé là... 
         
Tout commence dans la petite bourgade de Froggy town, par une nuit d'orage (ambiance...), Lucky Luke vient y faire une halte mais sa venue ne passe pas inaperçue. Les quelques hommes qu'il croise se retournent tous sur son passage et très vite les ennuis arrivent. Lors d'une petite altercation avec les frères Bone, dont l'un est shérif, Luke fait la connaissance de Doc Wednesday, vieux loup solitaire ravagé par l'alcool. Rencontre heureuse puisque celui-ci va se porter volontaire pour aider Luke lorsque les citoyens de Froggy town lui demandent de mener l'enquête sur le vol de la diligence qui contenait les quelques pépites d'or des pauvres mineurs de la petite ville.
             
Grâce à un scénario, classique mais efficace, nous voici donc plongés au cœur du bon vieux Far West, celui de John Ford (clin d’œil à L'Homme qui tua Liberty Valence), de Sergio Leone ou de Clint Eastwood ! Dans cet album truffé de références au genre, Matthieu Bonhomme n'oublie pas non plus ce qui a fait le sel du cowboy de Morris : la phrase courte (Ouep!), l'apparente indolence et le flegme légendaire de Lucky Luke sont plus que jamais mis en avant! L'auteur reste donc fidèle à Morris, tout en redonnant une petite touche de modernité à son Luke, relooké pour l'occasion, ainsi qu'en nous présentant aussi ses failles. Même si la magnifique couverture tranche avec le reste de la série, la mise en couleur, très réussie suit le style des autres albums, surtout les premiers. L'humour est certes moins présent que dans les versions précédentes, mais les personnages, d'habitude très caricaturés, sont ainsi plus contrastés. Matthieu Bonhomme nous fourni même une explication sur ce qui a poussé Luke à troquer la cigarette contre le brin d'herbe! 
           
Bref, vous l'aurez compris, cette BD est l’œuvre d'un grand nostalgique, qui aime jouer avec ses lecteurs, les petits mais surtout les grands! Oui, L'Homme qui tua Lucky Luke m'a un peu fait l'effet de la petite madeleine de Proust, trempée dans le tilleul!

L'Homme qui tua Lucky Luke, Matthieu Bonhomme, Dupuis, 2016

samedi 9 juillet 2016

"Le Garçon au sommet de la montagne" de John Boyne

Paris, 1936. Pierrot, jeune franco-allemand, vit entouré de ses deux parents, de son chien d'Artagnan et de son ami Anshel, un petit garçon juif et muet. Si les jours qu'il coule ne sont pas toujours paisibles en raison du caractère violent de son père, traumatisé par la dernière guerre, Pierrot aime sa vie et surtout les moments qu'il passe avec son meilleur ami à inventer des histoires, lire et communiquer dans leur langue secrète. Mais un jour, un drame éclate entre ses parents et son père meurt brutalement quelque temps plus tard. Trois ans après, c'est sa mère qui succombe à la tuberculose. Pierrot est désormais seul et envoyé dans un orphelinat près d'Orléans. Son séjour y sera cependant de courte durée car sa tante Beatrix, qu'il n'a jamais vue, le réclame auprès d'elle. Beatrix est gouvernante dans une demeure située au sommet d'une montagne dans les Alpes bavaroises, le Berghof, qui n'est autre que la résidence secondaire d'Adolf Hitler. A son contacte, Pierrot, rebaptisé Pieter, va radicalement changer. Ce petit garçon de 7 ans, timide et intelligent, va devenir, au fil du temps, un petit nazi fier de lui-même, prétentieux, assoiffé de pouvoir et littéralement fasciné par Hitler. 

En à peine 300 pages (en plus c'est écrit gros!), John Boyne, dans la lignée du Garçon au pyjama rayé, nous plonge au cœur des ténèbres et parvient à dresser un tableau de l'époque avec un synthétisme exemplaire. De la montée de l'antisémitisme à l'aube de la seconde guerre, l'auteur nous décrit le cheminement douloureux de Pierrot, qui doit renoncer à sa vie d'avant, à son ami de toujours sous prétexte qu'il est juif, et même à son prénom, pas assez "allemand". Dans ce roman où tout sonne juste, on assiste ensuite impuissant à l'endoctrinement de ce petit garçon si attachant, seul et en mal d'amour. Manipulé comme un pantin par le führer, Pierrot/Pieter se transforme, petit à petit, en tyran aux idées étroites, jusqu'à commettre l'irréparable. Très prenant, le roman pose aussi plusieurs questions : comment un être gentil et innocent peut-il se transformer en monstre sans états d'âme? Comment et pourquoi décide-t-on de fermer les yeux sur des crimes effroyables? Peut-on se racheter de ses crimes? Bien sûr, l'auteur ne prétend pas y apporter de réponses mais la fin du roman, peut-être un peu expéditive (mais c'est un roman pour les enfants, n'oublions pas), apporte une note d'espoir dans toute cette noirceur. Un texte fort et percutant, qui parle aussi de résilience et de pardon.

"Ne fais jamais semblant de ne pas savoir ce qui se passait au Berghof. Tu as des yeux et des oreilles. Et, plus d’une fois, tu t’es trouvé dans ce bureau à prendre des notes. Tu as tout entendu. Tu as tout vu. Tu savais tout. Comme tu sais ce dont tu es responsable. […] Les morts que tu as sur la conscience. Tu es encore jeune, tu n’as que seize ans. Tu as la vie devant toi pour assumer ta complicité dans ces affaires. Ne dis jamais que tu ne savais pas. Ce serait le pire de tous les crimes.

Le Garçon au sommet de la montagne, John Boyne, Gallimard jeunesse, 2016

mardi 5 juillet 2016

"Le grand n'importe quoi", de J.M. Erre

J'ai découvert J.M. Erre avec Prenez soin du chien, son premier roman, un concentré hilarant de loufoqueries comme je n'en avais jamais lu auparavant! Depuis, tous les deux ans (fréquence de parution de ses romans), j'ai rendez-vous avec lui! Cette fois je ne parlerai donc pas de littérature jeunesse mais du Grand n'importe quoi, le dernier livre de J. M. Erre!

Avec un titre pareil, ce livre ne pouvait être que du pur délire, et c'est bien le cas! L'histoire se déroule en 2042, le 7 juin à 20h42 pour être plus précis, dans le village de Gourdiflot-le-Bombé. Alain Delon, membre actif des homonymes anonymes et passionné d'extra-terrestres, est sur le point d'en finir avec la vie lorsqu'il voit atterrir une soucoupe volante dans son jardin. Au même moment, non loin de là, Arthur, réfugié monégasque depuis que le Mollah Albert fait régner la terreur sur le rocher devenu un état islamique, et sa compagne Framboise s’apprêtent à se rendre à la soirée costumée d'un culturiste, tandis que Lucas, un écrivain de SF raté, reçoit la visite d'une Maryline Monroe alcoolisée, et J-Bob et Francis, piliers de bar accoudés au comptoir discutent physique quantique et métaphysique... (cette phrase est un peu longue, désolée!) Tous ces personnages, et bien d'autres encore, vont ainsi se croiser au fil des pages et vivre des aventures hors du commun, (voire totalement grotesques comme nous l'indique l'auteur lui-même!), tout en restant à Gourdiflot-le-Bombé et à 20h42...

J. M. Erre joue avec les codes de la science-fiction, on pense en particulier à la Soupe aux choux de René Fallet et au guide du voyageur galactique de Douglas Adams, et signe un roman totalement décalé et déjanté où personnages caricaturaux et situations rocambolesques se mêlent à des références plus philosophiques, littéraires et cinématographiques. L'auteur ne lésine pas sur les digressions, les jeux de mots et les figures de style; chaque phrase est un plaisir pour les zygomatiques. Non seulement c'est drôle mais l'auteur nous livre aussi, en filigranes et toujours au second degré, une belle critique des dérives de notre société : politiques, économistes, journalistes en prennent pour leur grade! Mais Le grand n'importe quoi c'est aussi un hommage rendu à la littérature et une réflexion sur l'écriture et la création. Rien de trop sérieux rassurez-vous, ce serait mal connaître l'auteur et son goût de l'auto-dérision, mais c'est tout de même pas n'importe quoi!

Juste pour le plaisir, un petit extrait !
A ses côtés se tenait Qzywkkvyz, son fidèle pilote, dont le patronyme aux sonorités chantantes aurait mérité l’invention d’un Scrabble zlotonois (du Sud). Ensemble, ils avaient parcouru l'espace infini d'un bout à l'autre, car ils se riaient des paradoxes. Ensemble, ils avaient dépassé maintes fois la vitesse de la lumière, car ils se gaussaient des théories relativistes de physiciens allemands hirsutes. Ensemble, ils s'étaient beaucoup tripotés, car derrière les uniformes sévères de militaires aguerris battaient deux cœurs sensibles de pieuvres de l'espace. Le capitaine Jean-SCRT@wysqdto&ké posa sur Qzywkkvyz ses huits yeux humides d'affection virile et lui demanda de passer la cinquième sur ce ton martial qui faisait durcir les tentacules de tous les octopodes à frange tubulaire de la constellation d'Orion aux étoiles d'Andromède

Le grand n'importe quoi, J. M. Erre, Buchet-chastel, 2016