vendredi 31 août 2012

"Ma mère est un gorille (et alors?)", Frida Nilsson

Ne vous fiez pas à son titre déroutant ni à sa couverture au dessin naïf, sous ses airs badins, ce livre est une invitation à la tolérance et un éloge de la différence.

Jonna n'a plus de parents et vit à l'orphelinat des Mimosas dirigé par l'odieuse Gerd, une obsédée de la propreté. Comme tous les petits orphelins, elle ne rêve que d'une seule chose, quitter l'orphelinat et "vivre dans une vraie maison, avec une vraie maman, jolie, les cheveux coiffés en chignons et qui sentirait bon le parfum ». Seulement voilà, la maman qui arrive pour Jonna n’est pas du tout celle dont elle a si souvent rêvé... C’est une gorille !! « Elle mesurait deux mètres de haut, son ventre était rond comme une barrique, et sa tête noire et massive ressemblait à une énorme poire. Elle ne portait pas de pull, mais ses jambes étaient couvertes d’un pantalon bleu miteux, retroussé au-dessus des genoux ». D’abord effrayée comme tous les autres, Jonna va apprendre à connaître celle qu’elle surnomme "la gorille" et découvrir en elle une maman qui dépasse tout ce qu’elle avait pu imaginer !

C’est un roman optimiste mais qui aborde des sujets graves : l’adoption, les préjugés, la différence et le rejet qu’elle génère, l’enfance, le travail, l’absurdité de l’administration… Mais comme c’est une histoire pour les enfants, ces thèmes sont abordés avec fraîcheur et légèreté. Il y a aussi dans ce livre des petites vérités toutes simples qui s’égrainent ici et là, et rendent sa lecture apaisante. Par exemple, lorsque la gorille explique à Jonna qu’elle préfèrerait vendre des livres que des babioles : « c’est plus dur de vendre des livres que des babioles, je ne sais pas pourquoi » ; ou lorsque Jonna se rend finalement compte qu’elle ne souhaite plus que la gorille change, mais que c’est aux autres de changer…

Ma mère est un gorille (et alors?) est le premier livre traduit en français de Frida Nilsson, auteure suédoise qui rencontre un grand succès dans son pays. Avec ce roman elle signe un livre plein d’humanité et de tendresse, mais aussi une aventure digne d’Oliver Twist (le livre de chevet de la gorille) qui plaira à coup sûr aux enfants de 9 ans et plus !

Ma mère est un gorille (et alors?), Frida Nilsson, Bayard jeunesse, "Estampille", 2011

mercredi 29 août 2012

"Traverser la nuit", Martine Pouchain

"Pour voir resplendir l'aube"...


Vilor est flic à Etrenjoie, un bled paumé en Picardie. Les journées s'étirent au rythme des verres de gnôle et des conversations au zinc de l'unique bistrot d'Etrenjoie. Le sujet des conversations tourne souvent autour d'une seule et même personne, Blanche, une beauté juvénile sur laquelle tous les hommes se retournent et perdent la tête... C'est le meurtre du maire, qui se trouve être aussi le père de Blanche, retrouvé égorgé et noyé dans la fontaine du village, qui va mettre Etrenjoie en émoi...
Qui est donc le meutrier de Jacques Jaron? Dans ce village où tout le monde connaît la vie de tout le monde et s'observe, il est difficile de garder un secret... On suit le déroulement de l'enquête au travers du regard de Vilor, qui raconte l'histoire comme il l'a vécue. Il commence d'ailleurs le livre comme cela : " "A quoi ça sert d'inventer des histoires, alors que la réalité est déjà tellement incroyable?" C'est une détenue de je ne sais quelle prison pour je ne sais quel crime qui a dit ça un jour. Et c'est exactement ce que j'ai pensé quand j'ai eu envie de vous raconter la mienne, d'histoire."

Ce qui fait la richesse de ce livre, c'est cette palette de personnages imparfaits mais attachants à l'accent à couper au couteau, l'ambiance parfaitement restituée de ce village picard avec son histoire, ses coutumes et son pâtois, mais aussi la personnalité tourmentée du narrateur.

L'enquête devient alors prétexte à la description de toute ce petit monde qui gagne en épaisseur au fil des pages. Secrets de familles, violences, misère, au final le roman ce révèle d'une densité prenante. L'écriture de Martine Pouchain atteint une dimension nouvelle où le parlé très imagé de Vilor, frôle par moment la poésie, notamment pour décrire les atmosphères : "J'ouvre la lucarne pour laisser entrer les étoiles. J'ai dans l'idée qu'elles se sentent ici comme chez elles. Un agnus dei ruisselle dans l'air tiède, tapisse le soir de son vernis liturgique et le paysage aussitôt se transfigure, mute cathédrale. La faune nocturne commence à s'aventurer hors des terriers, et ses chuintements, glapissements, hululements se mêlent aux trépidations de l'orgue."

L'atmosphère devient, au fil des pages, de plus en plus pesante et l'intrigue, fort bien menée de bout en bout, jusqu'au retournement final, se révèle plus surprenante que prévue! Mais je ne dirai rien. Que si in meule deminde*!

* Que si on me le demande

 Traverser la nuit, Martine Pouchain, Editions Sarbacane, 2012

vendredi 24 août 2012

"Du vent dans mes mollets", Raphaële Moussafir

Avant sa sortie au cinéma, j'ai eu envie de lire ce petit roman de Raphaële Moussafir. Comédienne de profession, elle écrivit ce texte pour le théâtre à la base. Raconté à la première personne, ce texte est l'histoire d'une petite fille de 9 ans, Rachel, un peu farfelue (elle dort toute habillée et avec son cartable), qui se rend chez sa psy, Madame Trebla, à la demande de ses parents. Drôle et attendrissante, elle fait preuve d'une grande sagacité pour son âge de même qu'une vision plutôt acerbe du monde des adultes! "J'ai eu envie de dire à madame Trebla que je ne suis pas curieuse mais que quand je m'emmerde, je fais comme tout le monde : je fais semblant de lire ce qu'il y a sur les murs pour pas qu'on voie que je m'emmerde."

Derrière son petit côté fantasque, il y a surtout le deuil et l'absence de sa grand-mère défunte, mais aussi l'incompréhension de la mort très présente tout au long du livre : "J’ai remarqué que quand on est triste ou qu’il y a une mauvaise nouvelle, la vie autour ne change pas. Comme le jour où mamie est morte, j’étais dehors, et il y avait du vent, et quand on m’a dit que mamie était morte, il a quand même continué à y avoir du vent dans mes mollets. Quand on est triste, les objets ne sont pas tristes et ils font comme si de rien n’était, et ça, ça me rend encore plus triste."

Heureusement, Rachel a une meilleure amie, Hortense, avec qui elle fait les 400 coups. Mais là encore, Rachel n'est pas au bout des ses peines, et même si l'histoire finit bien pour elle (on connaît enfin la raison pour laquelle elle dort toute habillée), on ne peut s'empêcher de verser quelques larmes au bout du compte.

L'écriture de Raphaële Moussafir est proche du parler enfantin et c'est vrai qu'on pourrait s'y méprendre, mais le regard qu'elle porte sur sa vie et celle de son entourage est plus proche de celui d'une adulte. Par ailleurs, l'âge de la narratrice ne correspond pas vraiment à l'âge de lecture. Mais pour ma part, en tant qu'adulte, j'ai beaucoup aimé ce livre!





mercredi 22 août 2012

"Rien", Janne Teller, éditions du Panama, 2007


Derrière ce drôle de titre se cache l’histoire d’une classe de 4ème d’un collège danois, bouleversée par le départ inopiné d’un de leur camarade de classe, Pierre Anthon. Un jour, celui-ci décide tout simplement de quitter le cours et de ne plus jamais revenir. La raison ? Pour lui, rien ne signifie rien. L’école, la vie, la mort... Rien. « La vie n’est qu’un jeu qui consiste à exceller dans l’art de faire semblant et d’y être précisément le meilleur », d’après lui. Toute la classe est chamboulée par son départ et par ses paroles. D’autant que Pierre Anthon est loin de se faire oublier puisqu’il a élu domicile dans un prunier près de l’école. De là, il peut balancer à qui ne veut pas l’entendre, ses maximes nihilistes : « Et pourquoi est-ce si important d’apprendre à dire merci, et de rien, et bonjour, et comment allez-vous, quand bientôt aucun d’entre nous n’ira plus nulle part… »
Pour échapper à ce néant qui les guette, toute la classe décide de prouver à Pierre Anthon que la vie a un sens. Chose délicate et surtout intangible. Mais pas pour eux…
L’histoire est racontée par Agnès, une élève de la classe. Elle décrit ce que représente « la signification » pour chaque enfant, jusqu’à ce que tout dégénère. On suit donc le cheminement de cette tragédie à travers son regard. Un regard détaché, presque médical, sans jugement de valeurs sur ces évènements mais qui explique comment le doute et l’aspiration au néant s’insinuent progressivement en chacun.
Jusqu’à la folie. Et ça fait froid dans le dos ! Par certains côtés, ce livre m’a fait penser à Sa Majesté des mouches de William Golding, ou comment les enfants entre eux sont capables du pire pour survivre. Un Rien qui n’est pas rien !

lundi 20 août 2012

"La fois où je suis devenu écrivain", de Vincent Cuvellier

Auteur pour la jeunesse à succès, Vincent Cuvellier n’a pourtant pas toujours connu la gloire, et c’est ce qu’il raconte dans cette courte autobiographie d’une soixantaine de pages.
Adolescent très moyen à l’école voire médiocre, Vincent ne souhaite qu’une seule chose : devenir écrivain. Mais vu ses résultats scolaires, personne n’y croit ! A 16 ans, on lui suggère même fortement d’arrêter les études ! Le voici donc à 16 ans, chômeur et pointeur à l’ANPE (du temps où ça n’était pas Pôle emploi…) sans diplômes. Mais bon, comme ce qu’il veut faire dans la vie c’est poète maudit et qu’il n’existe aucune formation pour cela, les diplômes il s’en moque un peu. Il se retrouve donc à faire de petits boulots, juste histoire de s’occuper un peu en attendant des jours meilleurs.
Et un beau jour, un ami l’informe d’un concours d’écriture national : le Prix du jeune écrivain. Vincent se lance et donne tout. L’inspiration vient progressivement, il tente une nouvelle forme d’écriture, proche de l’oralité. C’est violent, c’est choquant et ça met mal à l’aise mais le talent est là. D’ailleurs, il va l’obtenir ce prix ! Le problème, c’est qu’une fois le prix obtenu, et tout ce qui s’en suit, l’inspiration ne vient plus. Commence alors pour lui une longue période d’errance et d’expérimentations de toutes sortes. Une période où il va se chercher. Cette recherche prend fin le jour où il découvre la littérature jeunesse et toute l’étendue de créativité et de liberté de ton qu’elle recèle !
Toujours avec humour et un sens acéré de la synthèse, Vincent Cuvellier réussit une fois de plus à tenir son lecteur, ado ou non, et s’amuse de cet exercice si classique qu’est l’autobiographie.