vendredi 21 décembre 2012

"Le livre des histoires perdues", Reinhardt Jung

Paru en Allemagne en 1998, Le livre des histoires perdues de Reinhardt Jung, auteur pour la jeunesse récompensé a de nombreuses reprises dans son pays, vient d'être traduit pour la première fois en France aux éditions Alice. C'est un livre assez singulier, un recueil d'histoires enchâssées dans une autre histoire.
Bambert est un homme de petite taille et difforme. Ses difformités l'empêchent de marcher normalement et lui provoquent de grandes douleurs... à cause de cela, et par peur des moqueries et du regard des gens, il préfère rester chez lui. Il a pour unique compagnon Monsieur Flor, son locataire qui occupe le rez-de-chaussée et y tient une petite épicerie. Grand érudit et écrivain de talent, Bambert n'a encore jamais osé montrer ses histoires... Pourtant, un jour, il décide de les faire voyager pour leur donner vie! Onze histoires vont ainsi être envoyées dans les airs à l'aide de petits parachutes faits en papier japonais, comme autant de bouteilles à la mer. Il espère qu'elles atterriront dans des pays lointains, seront lues et lui seront renvoyées. Bambert attend pendant longtemps le retour des histoires, et, voyant qu'elles ne reviennent pas, sombre peu à peu dans la déprime. Mais, un beau jour, une histoire lui revient d'Irlande, puis quelques temps plus tard d'Espagne, puis, une autre encore de Russie! Bambert reprend espoir. Son histoire intitulée l'Oeil de la baleine, qui lui revient de Dublin, se déroulera donc sur une plage d'Irlande, celle de la princesse qui ne souhaitait pas se marier, en Espagne, etc! Peu à peu, on découvre que c'est en fait Monsieur Flor qui récupère les histoires égarées dans la ville (elles n'ont jamais franchi la périphérie) et les lui renvoie en les affranchissant des beaux timbres étrangers de sa collection... Malheureusement, la dernière histoire semble bel et bien perdue. Monsieur Flor ne peut rien faire d'autre que regarder, impuissant, Bambert sombrer une nouvelle fois...
J'ai été assez touchée par cette histoire, lumineuse et sombre à la fois. Bambert est un homme très sensible et très triste qui voyage grâce aux livres et aux histoires qu'il invente sans cesse et qui se bousculent dans sa tête. Faire voyager ses histoires, c'est aussi pour lui le moyen de sortir de lui-même, et c'est d'autant plus émouvant qu'il sait qu'il ne verra jamais les pays d'où reviennent les histoires. Toutes ses histoires, qui sont plutôt des nouvelles étranges et fantastiques, ponctuent d’ailleurs agréablement le fil du récit. On croit jusqu'au bout que ce projet lui donnera l'envie de voyager lui-aussi, mais l'histoire se termine assez mal, la vie n'est pas toujours rose... Néanmoins, la fin de l'histoire est assez poétique. C'est Monsieur Flor qui en écrit le dernier chapitre, constituant ainsi la dernière histoire du Livre des histoires perdues, en y racontant le premier et dernier voyage de son infortuné compagnon. Bambert rejoint donc ses histoires et peut-être que, grâce à Monsieur Flor, il continuera de vivre à travers elles.
"Monsieur Flor posa son stylo, se relut et plaça la dernière histoire à la suite de toutes les autres. Heureusement, songea-t-il, heureusement qu'il nous reste son livre!"

Le Livre des histoires perdues, Reinhardt Jung, Alice éditions, 2012

vendredi 7 décembre 2012

"Dingo et le sens de la vie", Agnès Desarthe

Qu'ont en commun une petite linotte prénommée Dingo à qui la curiosité joue des tours, un chat prénommé Pacha qui préfère se prélasser que chasser, et une vache dénommée Vénus "qui a autant de sagesse que de paresse dans le corps"? Rien! Sinon qu'ils se retrouvent tous à un moment de ce petit livre joyeux et frais, et magiquement illustré par Anaïs Vaugelade!

Ce petit roman, divisé en trois chapitres, s'attache tour à tour à l'histoire de ces trois personnages: Dingo, Pacha, puis Vénus.

Dingo va vivre une aventure bien curieuse avec Pacha mais ne s'en souviendra plus dès le lendemain (c'est ça d'être une tête de linotte!); à la suite de cela Pacha deviendra la risée des autres chats du quartier et se sentira un peu comme le vilain petit canard, puis, suite à un retournement inattentu, ils trouveront refuge auprès de la sage Vénus! Finalement, la vie est faite d'une suite de hasards étranges, et comme dit la vache Vénus: "Nous sommes tous un peu bizarres si on y réfléchit. L'important c'est..."

Bon... Vénus s'endort avant d'aller au bout de sa pensée mais moi je vais quand même jouer à la sage vache et vous donner le fond de la mienne! L'important, c'est de savoir laisser place aux hasards de la vie, aux rencontres et aux imprévus, car ils peuvent nous emmener loin! Alors, à quoi bon se préoccuper du sens de la vie quand on peut vivre d'amour... et de bouse fraîche (cf page 53)!

Dingo et le sens de la vie, Agnès Desarthe, L'Ecole des loisirs, "Mouche", 2012

samedi 24 novembre 2012

"Les aventures d'Alexandre le gland", Olivier Douzou

Attention! Gland livle! Cette histoile vous fela chaviler de plaisil, lile et soulile!
Vous ne comprenez rien? Pas de panique, voici un petit résumé, qui ne retranscrira certes pas la richesse du livre mais qui vous donnera, j'espère, un léger apperçu.
Alexandre, un gland, vit tranquillement accroché aux branches d'un grand chêne. Le temps passe et l'heure est venue, pour lui, de descendre de l'arbre pour perpétuer l'espèce. Mais Alexandre ne veut rien entendre : « Je ne sautelai point et continuelai/ à m’acclocher fièlement pal ma cupule/ au noble chêne à la sève si pule. » Car, Alexandre est un gland qui roule les "r" et, de surcroît, fait des rimes. (Donc, à ne pas confondre avec Alexandre le grand même s'il se présente ainsi: "Alexandle, du gland chêne loi des folêts le descendant.")
Blef! euh... Bref! Alexandre doit descendre et faire son trou dans la forêt pour devenir chêne à son tour. Le problème c'est qu'il veut rester dans l'arbre car il ignore tout de la façon de faire des trous : « Je suis gland, celtes, mais flanchement, j’avoue mon manque de coulage, la chute, soit, mais aplès ? ». Point de clémence pour le gland Alexandre, secoué de toutes parts, malmené, il chutera inexorablement.
Heureusement, dans sa cupule nichait un certain Philotéas, le vers philanthrope qui parle en rime et alexandrins (ah! ah!). Philotéas, en vers fidèle, le guidera dans sa quête du trou. Cette quête sera semée d'embûches (c'est le risque quand on chemine dans la forêt) et Alexandre aura bien du mal à faire son trou! Bogues-sœurs chanteuses, noix qui cite Victor Hugo, escargot au parlé trainant, noisette qui zozote, fourmi militante, pantin de bois... les rencontres sont riches ou dangereuses, parfois absurdes, mais toujours pleines de surprises! Grandir n'est pas de tout de repos. Car, le propos est bien là. Tomber de l'arbre c'est comme quitter le nid pour vivre sa propre vie, c'est long et c'est compliqué!
Les enfants trop pressés de grandir se font pourtant rappeler à l'ordre dès le début du livre par l'auteur : "Vous autres les enfants avez - reconnaissez-le - particulièrement de la chance d'avoir des parents bienveillants qui vous guident et vous préviennent de tous les dangers. Quand, comme Alexandre, on est un fruit, on ne sait effectivement rien de ce qui nous attend." Ces apartés qui ponctuent régulièrement le récit pour le commenter, sont aussi d’habiles clins-d’œil aux morales des contes ou des fables d’antan ! "Chers petits lecteurs, méditez ainsi comment à force de louanges et de promesses bien placées il est aisé de transformer la vanité en candeur. Nous l'allons prouver tout à l'heure".

Plein de références littéraires (les fables de La Fontaine, notamment), de jeux de mots, d'humour et d'inventivité, ce conte est un bijou de fantaisie, une ode à l'imagination et au langage! Les illustrations au crayon papier rehaussées, par endroit, de rouge sont un vrai régal. Laissez-vous donc sulplendle au détoul des pages de ce conte légèlement décalé !
Alexandre le gland, Olivier Douzou, Ed du Rouergue, 2012

mercredi 14 novembre 2012

"Les trois vies d'antoine anacharsis", Alex Cousseau

C’est une histoire de famille, une histoire de trésor caché… ça parle d’océans, de flibustiers, de liberté, d’amour, de renaissance… tout cela à la fois !
Taan vient d’une famille qui a toujours vécue sur une petite île au large de Madagascar, Nosy Boraha. Un jour pourtant, un bateau de la flotte anglaise heurte la pirogue sur laquelle se trouvaient sa mère, alors enceinte de lui, et son père. Les voilà captifs d’un marchand d’esclaves. Alors que Taan est encore dans le ventre de sa mère, celle-ci lui raconte tout ce qu'elle voit. Taan entend tout et se souvient de tout. Par une nuit de tempête, le bateau fait naufrage, et  les parents de Taan avec. Lui, va naître dans l’océan, mis au monde par le Kraken... Avant de mourir, sa mère a pris soin de lui transmettre le médaillon de ses ancêtres qui contient un cryptogramme révélant l’emplacement du trésor du célèbre pirate Olivier Levasseur…
Un an plus tard, en 1832, Taan est recueilli dans les filets de Blind, un vieux pêcheur qui vit à Antigua, au large d’Haïti. C’est sa deuxième vie qui commence. Taan est prénommé Antoine et racontera plus tard à Blind l’histoire sa naissance et du trésor. Dès lors, Blind et lui n’auront de cesse de déchiffrer le cryptogramme et chercher ce fameux trésor, quitte à prendre des risques et à y laisser leur santé. En 1848, ils partent pour l’Amérique, à la rencontre d’Edgar Poe, alors célèbre pour son talent de décrypteur. Sur leur chemin, ils vont être séparés mais Antoine continue sa route et croise toutes sortes de personnages ayant vraiment existés : Edgar Poe donc, mais aussi les sœurs Fox, Phineas Gage… et d’autres plus fictifs : négriers, indiens, voyous… Essuyant déceptions et coups durs Antoine décide de ne plus penser à cet obsédant trésor et s’embarque en1865 sur un baleinier. Là, il devient Antoine Anacharsis et débute sa troisième et dernière vie. C’est aussi sur ce baleinier qu’il va rencontrer l’amour et trouver le vrai trésor…
Avec une écriture toujours aussi impeccable et une grande habileté, Alex Cousseau parvient à jongler avec une multitude de lieux et d’époques, significatifs du 19ème siècle. En effet, commerce triangulaire, pirates et flibustiers, abolition de l’esclavage, conquête de l’ouest américain, sont brillamment évoqués au fil du voyage d’Antoine. Il y a de l’aventure dans ce roman, mais aussi du fantastique, et ce mélange des deux fonctionne à merveille. Comme dans tous grands romans d’aventure, l’auteur n’oublie pas la part de mystère, de rebondissements, et de paysages exotiques ! La part d’apprentissage n’est pas en reste non plus et les obstacles qui vont se mettre en travers de la route d’Antoine ne sont pas sans rappeler le schéma du conte. Un beau roman d’aventure où l’évasion est au rendez-vous!
Les trois vies d’antoine anacharsis, Alex Cousseau, Rouergues, "Doado", 2012

dimanche 28 octobre 2012

"Inventaire après rupture", Daniel Handler

Min dépose une boîte devant la porte d'Ed. Dans cette boîte il y a une lettre et toute leur histoire, ou comme le dit aussi la couverture du livre, toute l'histoire de leur rupture. Beaucoup d'objets, des petits riens qui représentent pourtant quelque chose de précis aux yeux de Min : capsules de bière de leur première rencontre, tickets de cinéma de leur premier ciné, premiers mots d'amour, premier cadeau, etc. Des objets du quotidien qui sont autant de souvenirs... Dans sa lettre de rupture à Ed, Min rappelle les souvenirs qui sont rattachés à chaque objet, le plus souvent aigres-doux et qui contiennent aussi les prémices de leur rupture. C'est d'ailleurs ce qui rend la tonalité de ce livre si particulière. Min porte un regard sévère et amer sur leur histoire, à la fois plein de colère, de regrets et de confusions car on sent qu'elle n'est pas tout à fait débarrassée de ses sentiments pour Ed :  " (...) le problème avec les désirs du coeur, c'est que le coeur ne sait même pas ce qu'il désire, jusqu'à ce que l'occasion se présente. (...) tu étais là sans être annoncé, et à présent tu devenais mon seul désir, le cadeau absolu. Je n'avais rien cherché, je ne t'avais pas cherché, et à présent, là, dans la pénombre, tu étais tout ce que mon coeur voulait."


L'auteur retranscrit très bien ce déchirement. Par ailleurs, il parvient aussi à restituer une ambiance "teen movie" dans son roman sans tomber dans la facilité malgré quelques clichés! Ed et Min ne se ressemblent en rien et sont quand même attirés l'un par l'autre, on a déjà vu ça. Elle aime les grands classiques du cinéma américain, lui, est la star de basket du lycée et considère Min comme une "intello". Il l'admire car elle est différente, elle l'admire car il ne ressemble pas à ses amis. Mais à long terme, leurs différences deviennent trop prégnantes et la rupture est inévitable... En fait, ce qui apporte de la profondeur à ce récit c'est le personnage de Min. Elle est très cultivée et fait souvent référence à la littérature et au cinéma dans son inventaire. Ses remarques sonnent justes et le langage est plutôt travaillé : "Quelle conne j'étais de me prendre pour ce que je n'étais pas, quelle pauvre naze de me figurer que trois brins d'herbe font une jolie vue, que se faire embrasser rend embrassable, qu'aimer le cinéma fait de vous un cinéaste, qu'un carton de petites merdes est un trésor, qu'un garçon qui vous sourit est sérieux, qu'un moment doux est une vie plus belle."

Accompagné des illustrations à la gouache de Maria Kalman, ce roman plaira à tous les jeunes coeurs déçus qui pourront peut-être se retrouver dans l'histoire de Min et Ed!

Inventaire après rupture, Daniel Handler et Maria Kalman, Nathan, "Grand format", 2012

mercredi 17 octobre 2012

"Aristote in love", Anne-Gaëlle Balpe

Non, ce n’est pas une biographie d’Aristote façon « djeuns » que nous propose Anne-Gaëlle Balpe !
Aristote est un jeune garçon qui rentre en 6ème. Dans sa classe, il est assis à côté de Yasmine, une fille qui sent bon les fruits de la passion et le chocolat… Celle-ci trouve son prénom « trop stylé », un vrai prénom de guerrier ! Mais après quelques recherches, Aristote découvre que son prénom vient d’un philosophe qui portait des robes et qui vécut en Grèce dans « les années moins 300 ou quelques chose du genre ». Aristote décide d’être à la hauteur de ce prénom et commence à écrire des questions dans un petit cahier : « L’amitié entre filles et garçons est-elle possible ? Le développement durable est-il une solution d’avenir ? Qui est mon père ? » Mieux, il a l'intention de fonder une "Agence de philosophie"! Mais ce qui le préoccupe le plus, c’est Yasmine… Il ne sait pas quoi penser de leur relation. Depuis la rentrée (« une semaine, déjà ! »), ils ne se quittent plus mais Yasmine se comporte de plus en plus étrangement avec lui…
C’est une histoire d’amour toute simple, entre deux enfants, qui est racontée ici sur le mode de la comédie. Le personnage d’Aristote est vraiment attachant : heureux de vivre, vif d'esprit mais qui doute quand même un peu de lui, honnête, futé... La lecture est agréable, Anne-Gaëlle Balpe se met dans la peau de ce petit garçon atypique et c'est du point de vue de celui-ci qu'elle raconte son histoire. Par ailleurs, le récit est ponctué par des dialogues aux réparties bien senties qui font sourire et par une initiation accélérée à la philosophie et aux syllogismes des plus divertissante : « Tous les cafards sont mortels. Or, M. Prévost (le prof de musique) est mortel. Donc, M. Prévost est un cafard. »

Une lecture intelligente et distrayante pour jeunes lecteurs!
Aristote in love, Anne-Gaëlle Balpe, Rouergue, "Dacodac", 2012

samedi 13 octobre 2012

"La bande à Grimme", Aurélien Loncke

Dans la bande de Grimme ils sont huit. Huit petits loqueteux, livrés à eux-mêmes, qui doivent se débrouiller avec « trois fois rien, parfois moins » pour survivre dans la rue. Chacun a une caractéristique bien particulière. Parmi eux, il y a Fanette, la grande fille du groupe courageuse et intuitive, Sucette, le petit mec un peu grande gueule mais bien brave au fonds, Griotte la petite timide qui a le don d’attendrir tout le monde, Grimme, le chef de la bande (c’est un grand, il a presque 13 ans !) très adroit de ses dix doigts et pickpocket invétéré … D’ailleurs, comme Noël approche, celui-ci commet un vol dont il espère tirer profit afin de nourrir toute la petite bande. Au final, ce larcin les entraînera tous au cœur d’une intrigue policière, plus drôle qu’angoissante, il faut bien le dire !
Dans cette histoire, les personnages sont rigolos, chacun dans leur genre, mais peut-être trop nombreux pour qu’on puisse s’attacher à eux. L’intrigue est assez plaisante et la deuxième partie m’a un peu fait penser au scénario de Maman j’ai raté l’avion, lorsque Kevin doit lutter contre deux voleurs aussi bêtes que méchants. C’est un roman facile à lire qui a le mérite de mélanger, surtout dans la première partie (la plus réussie, à mon avis), les univers de la Petite fille aux allumettes, les romans de Dickens et de J.K. Rowling. Froid, pauvreté, le tout saupoudré d’un brin de magie, sans oublier l’amitié capable de résister à toutes les épreuves et qui demeure, malgré tout, la plus grande des richesses.
Donc, un livre à partir de 9 ans, plutôt sympathique dans l’ensemble !

La bande à Grimme, Aurélien Loncke, l’Ecole des loisirs, Medium, 2012

vendredi 5 octobre 2012

"Comment j'ai piqué la petite amie alien de Johnny Depp", Gary Ghislain

Bon… Je dois avouer que deux choses dans le titre ont attisé ma curiosité : « Johnny Depp » d’abord, « Alien » ensuite.
Malheureusement pour moi, de Johnny il n’y aura pas, ou très peu. Côté Alien, en revanche, on est servis ! Il y a, en effet, un petit côté série Z dans ce roman (je pense notamment au Gendarme et les extra-terrestres voire à la Soupe aux choux!)! Bref, à ne surtout pas lire si vous avez dans l’idée de vous élever intellectuellement.
L’histoire, la voici : David, 14 ans, plutôt mignon, mais pas très populaire au collège, passe les vacances d’été avec son père en Bretagne (en Cornouaille pour être précise). Son père est psy et dirige une maison de repos pour malades mentaux. Une de ses patientes, Zelda, présente des particularités assez troublantes. Elle prétend venir d’une lointaine planète, la planète Wahalal, et être sur Terre pour rechercher son « élu ». De plus,elle est assez violente. David va vite tomber sous le charme de cette « spacegirl » et se retrouve plongé, malgré lui, dans une aventure complètement loufoque à la recherche de l’élu terrien de Zelda, qui n’est autre que... Johnny Depp !
Donc, côté scénario, il ne faut surtout pas chercher le réalisme et l’originalité mais il y a tout de même de bonnes scènes : courses poursuites dans Paris, description de la mère comico-hystérique de David (avocate parisienne qui doit faire ses courses au Bon Marché), rencontre du troisième type avec une bande d’amazones alien, et « séquençage » d’élu potentiel façon roulage de pelle (il faut lire le livre pour comprendre)... Côté écriture, les dialogues sont vifs et les répliques fusent. Certaines sont parfois très marrantes. L’histoire est racontée par David, le personnage principal. Le style est très verbal et ponctué de remarques à l’humour potache qui font sourire. J’ai quand même eu un peu de mal à finir le livre (je dois être trop vieille) et le dénouement est assez prévisible mais les plus jeunes apprécieront le ton enlevé, l’histoire d’amour entre David et Zelda et toutes les péripéties qui l’accompagne!
Comment j’ai piqué la petite amie alien de Johnny Depp, Gary Ghislain, La Martinière jeunesse, 2012

vendredi 28 septembre 2012

"Lampedusa", Maryline Desbiolles

Une île au loin. Le rêve de vacances d’une modeste famille française; le rêve d’évasion d’une famille de réfugiés tunisiens pris ensuite dans la tourmente libyenne. Un caillou au milieu de la méditerrané, le point commun de deux vies abîmées.
Lampedusa, c’est l’histoire courte d’une rencontre, de deux vies qui se croisent, celle d’une petite fille française qui vient de perdre son père (et le rêve de vacances à Lampedusa), celle de Fadoun, immigrée Tunisienne et réfugiée de Libye. Ici, l’actualité brûlante est évoquée mais brièvement, sans en rajouter, avec beaucoup de compassion et de délicatesse.
"Oui, c'était bien une île de rêve, mais pas seulement celui de vacances et de plages de sable blanc, pas celui que nous avions eu avant que mon père disparaisse, oui, c'était bien une île de rêve, d'un rêve si puissant que des hommes, des femmes, des enfants [...] n'hésitaient pas à embarquer sur des pneumatiques pour rejoindre Lampedusa, quitte à y laisser la peau..."
Tout semble séparer ces deux petites filles, pourtant, une même douleur les habite, une même rébellion les réunie. Toutes deux ont dû quitter leur maison, ont été arrachées à leur petit monde, et toutes deux ont perdu un être cher.
"Lampedusa est l’île que nous n’avons pas connue. Elle n’est plus pour moi ce très étroit territoire de vingt kilomètres carrés, mais un trou, un manque, le vide même de cet été où nous ne sommes pas partis"
Fadoun apaise la narratrice de l’histoire (dont on ne connaîtra pas le nom) par le récit de sa vie dans le désert tunisien. Fadoun la heurte aussi par le récit de son parcours de réfugiée. "Il me semble que j'ai toujours su que Fadoun avait été naufragée, et je frémis d'entendre ce que je connais déjà." Presque sans paroles ces deux-là vont se soutenir mutuellement avec un projet commun : voir la mer qui n’est pourtant pas loin.
Comme un rêve, ce texte bref à l’écriture poétique est d’une fluidité surprenante. Avec une économie de moyens, Maryline Desbiolles, poète et romancière, parvient à raconter deux vies qui tentent de se reconstruire. Elle raconte aussi la mer, qu’on ne voit jamais mais qui est omniprésente, à la fois menace et promesse d’un ailleurs. Un beau texte baigné de mélancolie à la fin pleine d’espoir.

Lampedusa, Maryline Desbiolles, Ecole des Loisirs, "Médium, 2012

mercredi 26 septembre 2012

"Choisis quelque chose, mais dépêche-toi!", Nadia Budde

ou Souvenirs de Berlin-Est en dix chapitres

Un petit coin d'enfance, pas si rose et innocent que ça,  qui s'adresse surtout à ceux qui l'ont laissée derrière eux.

Dans Choisis quelque chose, mais dépêche-toi!, Nadia Budde réalise un très bel hommage à son enfance passée en RDA, quelques temps avant la chute du mur de Berlin. Tout part du souvenir d'une banderole, placardée un matin, sur le mur de l'immeuble d'en face, alors qu'elle était toute jeune : "Debout là-dedans! Votre pays de grands-parents à la con ça suffit!" Bien sûr, étant encore une enfant, elle n'avait pas saisie la raison pour laquelle on traitait ses grands-parents de cons! Elle évoque alors ses grands-parents, et l'ambiance de ces instants passés avec eux à la campagne. Le grand-père en bleu de travail et pantalon en velour côtelé, la cage aux poules fabriquée avec un panneau du parti, les fleurs, le jour de la fête des femmes, les soirées passées devant la radio à écouter la météo...

Dans une deuxième partie, intitulée "Être enfant", elle parle (et dessine) des immeubles construits avec des mobiles dans les années 70 dans lesquels elle a grandit, la vitesse de l'urbanisation, les bêtises et les peurs. "Être enfant c'était: tomber, crier dans un tunnel, faire pipi dans l'eau du bain, avoir des poux, ne pas marcher sur les bords des dalles de trottoir, porter des lunettes, faire de la balançoire et vomir, ne pas mettre les mains dans la terre! [...] avaler ses crottes de nez, bouffer ses croûtes, manger de l'oseille, pleurer, cueillir des fleurs..." Bref, une enfance universelle, qu'on soit d'un côté ou de l'autre du mur.

La dernière partie de son livre est d'ailleurs consacrée à la fin de cette enfance. Au moment où on nous dit qu'il est l'heure de choisir et qu'il faut se dépêcher. Une dernière partie un peu sombre, où la mort est très présente. En fait, la mort est présente tout au long du livre. Cette mort avait alors deux visages dans son imagination : la mort des champs et la mort des villes, puisqu'elle la voyait partout, à la ville comme à la campagne, et à chaque instant. "Lorsque l'on a grandi dans un étang agité, plus tard on est toujours préoccupé, et on a moins de temps pour raconter les histoires." Et ça, c'est un peu la conclusion du livre. D'où peut-être aussi le choix du roman graphique.

Avec quelques détails, quelques souvenirs, des odeurs, des anecdotes, Nadia Budde, réussi a reconstituer son univers qui, bien que tiré de son histoire personnelle et dans un contexte particulier, nous parle à tous.

Choisis quelques chose, mais dépêche-toi!, Nadia Budde, Ed. de l'Agrume, 2012

vendredi 21 septembre 2012

"Princesse pas douée", Christian Oster

Il était une fois, une princesse qui n'était pas douée. Elle ne se sentait pas douée, mais pas douée du tout, et elle manquait cruellement de confiance en elle. Un beau jour, ses parents, qui n'étaient pas du tout compréhensifs et très impatients, l'envoyèrent à pieds se chercher un mari (comprenez, un prince charmant). Au bout d'un kilomètre, la princesse, exténuée, fit une pause au pied d'un arbre. C'est là, qu'elle fit la rencontre d'un ours, tombé d'une branche... Une fois la surprise passée (forcément, un ours qui tombe d'un arbre, c'est pas commun), elle lui exposa son problème. L'ours lui conseilla alors d'aller réveiller le prince d'ici (le nom de la ville où ils se trouvent, c'est pratique), qui dormait depuis six mois d'un profond sommeil...

Christian Oster, pour le plaisir des petits et des grands, s'amuse une fois de plus à détourner les contes, cette fois, avec les (toujours) charmantes illustrations de Delphine Perret. Dans Princesse pas douée, c'est surtout le conte de la Belle au bois dormant qui en prend pour son grade. Sauf que, dans cette histoire, il ne s'agit pas d'une princesse et d'un fuseau, mais d'un prince qui s'est coupé en se rasant...

"- Il faut essayer d'éveiller le Prince, reprit l'ours [...] - Et le coup du baiser? demanda la princesse. - Quel truc du baiser? s'étonna l'ours. - Le truc... se troubla la princesse, le truc, enfin, vous savez, le baiser qui... - Ah oui! fit l'ours. J'ai lu ça quelque part."

Alors, d'après vous, un baiser, ça fait toujours sortir un prince de son sommeil? L'avantage des contes de fée, même détournés, c'est qu'ils font toujours rêver. Et, alors que les petites filles peuvent continuer de croire tranquillement au prince charmant, Christian Oster en profite aussi pour livrer, à la fin, une petite morale de son cru: "... elle [la princesse] se trouvait de moins en moins pas douée, comme je l'ai dit, et à la fin elle se trouva juste un tout petit peu pas douée, mais pas spécialement douée non plus, parce que, ceci est la morale de l'histoire, il faut se sentir un tout petit peu nul, parfois, pour éviter de l'être complètement."

Et une morale comme celle-ci, ça peut faire que du bien, surtout quand on est un peu pas doués!

Princesse pas douée, Christian Oster, Ecole des Loisirs, "Mouche", 2012

mercredi 19 septembre 2012

"L'Impitoyable Questionneur", Arnaud Alméras et Jacques Azam

Mais que se passe-t-il? Tous les mots disparaissent mystérieusement des livres depuis quelques jours… Voici une mission pour l'Impitoyable Questionneur! Une nuit, alors qu’il se glisse subrepticement dans une libraire, pour percer le mystère, il découvre qu’un groupe de souris armées de rayons laser est à l’origine du massacre… Comme rien ne résiste au pouvoir de l’Impitoyable Questionneur, il se lance (sans réfléchir) à leur poursuite. Ce qu’il ignore, c’est le plan que fomente, au même moment, l’infâme Vildeux le Vilain dont le souhait le plus cher est de rendre tous les super-(z)héros méchants!  Même le bien connu Hesitation Man, ne résistera pas ... Comment l’Impitoyable Questionneur va-t-il vaincre Vildeux le Vilain ?
Totalement loufoque et déjanté, cet album offre des moments d’une drôlerie irrésistible (pour ma part, je suis fan du passage où Vildeux le Vilain confie l’origine de sa méchanceté à l'Impitoyable Questionneur !) De plus, les illustrations de Jacques Azam accompagnent admirablement le texte : elles sont tout aussi délirantes que lui ! A lire aussi, des mêmes auteurs, dans la même veine : L'Etrange aventure du courageux chevalier très peureux. 
Vivement la suite des aventures de ce Sherlock Holmes d’un nouveau genre (plus pitoyable qu'impitoyable, il faut le dire…) !

L'impitoyable questionneur, Arnaud Alméras et Jacques Azam, Ed. Sarbacane

"Jean-Michel le caribou est amoureux", Magali le Huche

Suite des aventures de Jean-Michel le Caribou avec le crayon habile et plein d'humour de Magali le Huche! 
       
Un beau jour, Jean-Michel rencontre sur son chemin un lapin en détresse puisqu'il est sur le point de se noyer. Ni une ni deux, super J-M arrive à la rescousse!  Malheureusement, il lui casse les oreilles au passage... Direction l'hôpital. Jean-Michel qui, jusque-là, était un super héros imperturbable, succombe au charme dévastateur de Gisèle la super belle chamelle! (qui sent bon le chamel n°93) Comment Jean-Michel va-t-il pouvoir lui déclarer sa flamme, lui qui est pris de dyslexie amoureuse (oui, oui, ça arrive...) dès qu'il la voit…? On a beau être un super-héros, on en reste pas moins simple caribou.
Gisèle succombera-t-elle au charme du ténébreux caribou? Pour connaître la suite, vous savez ce qu'il vous reste à faire!
Drôle, malin, frais… Bref! Tout le champ lexical du plaisir pour ce pétillant album!!
          
Jean-Michel le Caribou est amoureux, Magali le Huche, Actes sud Junior, 2012

"L'Enfer au collège", Arthur Ténor

Ce livre, Arthur Ténor, l'a écrit suite au visionnage d'un reportage sur le harcèlement dont sont victimes certains enfants à l'école. Jeux cruels, moqueries, insultes, racket, passages à tabac… de tels faits divers, nous en entendons parler presque tous les jours, et le plus souvent il est déjà trop tard.

L'enfer au collège, c'est donc l'histoire de Gaspard qui, suite au divorce de ses parents, emménage dans un nouveau quartier et débute sa première année de collège dans un nouvel établissement où il ne connaît personne. A cause de sa dégaine de "gentil", Anthony (que Gaspard va vite surnommer la Teigne!), un camarade  de classe, commence à le harceler, juste pour s'amuser. Pour Gaspard qui, jusque-là, était un élève brillant, c'est la dégringolade. Pourtant, il choisit dans un premier temps de ne pas se laisser faire et répond coups pour coups. Des deux côtés, c'est la guerre.  Mais plus le temps passe, plus une profonde colère mêlée à une certaine lassitude s'emparent de Gaspard… jusqu'au clash final.
Arthur Ténor, donne la parole aux deux protagonistes à tour de rôle. C'est Anthony qui commence à raconter et on comprend assez vite que la personne à qui il s'adresse est un psy qui l'interroge sur les raisons de son comportement : "… Si tu devais décrire cette blague du cartable dans les toilettes des filles, quel mot emploierais-tu? - Je ne sais pas, moi… Méchant? C'était une méchanceté. - C'est quoi la méchanceté? [… ] - Je ne suis pas méchant. Ou alors juste pour rire."
Nous passons ensuite au point de vue de Gaspard, cette fois par le biais d'un narrateur omniscient. Cette forme de discours traduit alors davantage son introversion et, au fil des pages, l'angoisse profonde, la solitude et la colère qui l'étouffent.
Très bien mené, fort et, qui plus est, à la fin heureuse, ce petit roman destiné à priori aux enfants à partir de 9-10 ans devrait trouver sa place auprès des pré-ados comme des parents, victimes ou non de harcèlement. En effet, si l'écriture est accessible, les notes de l'auteur et le témoignage d'une mère, dont le fils fut victime de harcèlement, à la fin du livre, font de cet ouvrage un roman à part, qui se lit à tout âge et tout à fait édifiant.

L'enfer au collège, Arthur Ténor, Milan poche junior, "tranche de vie", 2012

mardi 11 septembre 2012

"Le faire ou mourir", Claire-Lise Marguier

Dam va avoir 16 ans. Depuis qu'il est tout petit, tout le monde l'appelle Dam, mais son prénom c'est Damien et il se sent comme une moitié de personne... Au collège, on l'ignore royalement, il n'existe pas. Chez lui, sa soeur et ses parents se moquent constamment de lui, car il est très sensible, il a peur de tout. Il endure les moqueries, les critiques et les coups depuis longtemps. Bien trop longtemps. Un jour, un groupe de "skatteurs" s'en prend à lui dans la rue. Samy, le chef du groupe de "gothiques" de son collège, lui vient en aide. S'ensuit alors une grande et intense amitié, mais pour Damien, ce jour marque surtout la fin de son insignifiance aux yeux des autres et à ses propres yeux.

Comme beaucoup d'adolescents, Damien a du mal à trouver sa place. Il ne parvient pas à s'affirmer, noyé sous les remarques dédaigneuses de son père qui lui reproche sa sensibilité et son manque de virilité. C'est un peu un souffre-douleur dans sa famille et au collège. Pour évacuer cette souffrance et la rancoeur qu'il contient et qui l'étouffent, il se scarifie. Le sang qui s'écoule, c'est une libération pour lui : "Si je le fais pas, tout ce que j'ai à l'intérieur risque d'exploser". Sa rencontre avec Samy et sa bande va heureusement tout changer. D'abord, il trouve enfin des gens qui l'acceptent comme il est (avec, tout de même, une petite transformation physique et vestimentaire! ), mais surtout il trouve en la personne de Samy quelqu'un d'attentionné, de prévenant et de tendre. Et au-delà de tout ça, Samy le comprend mieux que personne. Tout ce dont il a cruellement manqué ces derniers temps. Dam n'est pas homo, non. Il aime Samy, c'est différent. Et Samy l'aime. C'est dans la description de cet amour entre lui et Samy que Claire-Lise Marguier nous offre les plus beaux passages de son roman : "Il a passé ses bras autour de ma taille. Moi je regardais par terre. Je l'aimais bien Samy, non, je l'aimais beaucoup, mais ce qu'il allait faire ça m'a foutu la trouille. Je suis pas homo, j'ai dit pour m'expliquer. Tant mieux, il a dit, moi non plus. Mais j'ai très envie de t'embrasser quand même. [...] il a pris mon menton entre ses doigts pour m'obliger à le regarder, comme dans un de ces films que je ne regarde plus depuis longtemps, et il m'a embrassé. Sur la bouche, je te jure. J'ai eu mal au ventre, d'un coup."

Claire-Lise Marguier, dont c'est le premier roman, semble littéralement habiter ce personnage d'écorché vif. Tout est cohérent et tout se tient dans son livre: le mal-être de Damien, les tourments liés à l'adolescence, le sentiment d'injustice qu'il ressent face un père tout puissant et autoritaire, son amour pour Samy... Elle parvient même à nous montrer d'une façon originale, les conséquences que peuvent avoir un mal-être trop profond chez un individu, une amertume et une rancoeur trop longtemps contenues, un trop plein de mots impossibles à évacuer... Comment un rien peu suffire, parfois, pour le faire basculer dans l'irrémédiable.
Une histoire forte, où l'émotion affleure à chaque phrase, et qui marque durablement.

Le faire ou mourir, Claire-Lise Marguier, Ed. du Rouergue, "doado", 2011

jeudi 6 septembre 2012

"Le garçon qui volait des avions", Elise Fontenaille


Attention, histoire vraie ! Le garçon qui volait des avions c’est le récit de la cavale de Colton Harris-Moore qui fut emprisonné à 16 ans en 2010 aux Etats-Unis pour vols d’avions (et avant cela, vols de nourriture chez les voisins, puis vols de voitures de luxes et de bateaux…)
Qu’est-ce-qui a poussé Colt à voler de plus en plus fréquemment des choses de plus en plus grosses, de plus en plus imprenables ? C’est la question que se pose Elise Fontenaille en cherchant notamment du côté de son enfance. Ce garçon est passé à deux doigts de la mort par étranglement, des mains de son propre père alcoolique et violent. Une enfance marquée par un traumatisme, une mère elle aussi alcoolique, voilà, entre autres, les fondations sur lesquelles grandit Colt. Et tout va aller de mal en pis le jour où des policiers l’arrêtent et le soupçonnent d’avoir volé une bicyclette sous prétexte qu’elle est trop belle pour lui. La bicyclette, il ne l’a pas volé, mais puisqu’on le soupçonne, il va en voler des objets, rien que pour faire enrager la police... Pourchassé par tous, « tel le daim », l’ennemi que craint pourtant le plus Colt c’est la population qui souhaite se faire justice elle-même et ce malgré ses 40 000 fans sur Facebook. Modèle de rebellion pour les uns, "homme à abattre pour les autres", Colt déchaîne les passions.
La misère, le rejet, un système défectueux qui préfère enfermer les individus plutôt que de les aider, une société fondée sur la crainte et la violence… Tels sont les mécanismes mis en avant par l’auteure pour expliquer cet engrenage.
La parole est donnée tantôt à Colt, tantôt à sa mère ou aux différents témoins de l’histoire, voisins, flic, journaliste, éducatrice, comme s’il s’agissait d’une interview : «Je sais bien, on a dit que c’était tout de ma faute, à moi, Mo, la mère de Colton, la mère du petit voleur aux pieds nus, l’ennemi public n uméro un de la région… ». On imagine d’ailleurs très bien ce court récit sous forme théâtrale puisque chaque chapitre est introduit par la mise en place du décor : « Un hangar, sur l’île d’Orcas, un petit aérodrome perdu au milieu de nulle part entre Seattle et Vancouver, seuls le Pacifique et la rain forest… On n’y voit rien, l’ombre d’un petit avion, on entend l’océan au loin, une voix d’enfant résonne dans le noir. »
Voici donc en quelques pages (59 p.) d'une bluffante efficacité, le récit des aventures de Colton, le voleur aux pieds nus qui apprit seul à voler et conduire des voitures à 10 ans, des bateaux à 12 ans et des avions à 14 ans ! Etonnant qu’Hollywood ne se soit pas encore emparé du scénario et dommage que Léonardo soit trop vieux pour un deuxième Catch me if you can !
Le Garçon qui volait des avions, Elise Fontenaille, Ed. du Rouergue, "Doado", 2011

vendredi 31 août 2012

"Ma mère est un gorille (et alors?)", Frida Nilsson

Ne vous fiez pas à son titre déroutant ni à sa couverture au dessin naïf, sous ses airs badins, ce livre est une invitation à la tolérance et un éloge de la différence.

Jonna n'a plus de parents et vit à l'orphelinat des Mimosas dirigé par l'odieuse Gerd, une obsédée de la propreté. Comme tous les petits orphelins, elle ne rêve que d'une seule chose, quitter l'orphelinat et "vivre dans une vraie maison, avec une vraie maman, jolie, les cheveux coiffés en chignons et qui sentirait bon le parfum ». Seulement voilà, la maman qui arrive pour Jonna n’est pas du tout celle dont elle a si souvent rêvé... C’est une gorille !! « Elle mesurait deux mètres de haut, son ventre était rond comme une barrique, et sa tête noire et massive ressemblait à une énorme poire. Elle ne portait pas de pull, mais ses jambes étaient couvertes d’un pantalon bleu miteux, retroussé au-dessus des genoux ». D’abord effrayée comme tous les autres, Jonna va apprendre à connaître celle qu’elle surnomme "la gorille" et découvrir en elle une maman qui dépasse tout ce qu’elle avait pu imaginer !

C’est un roman optimiste mais qui aborde des sujets graves : l’adoption, les préjugés, la différence et le rejet qu’elle génère, l’enfance, le travail, l’absurdité de l’administration… Mais comme c’est une histoire pour les enfants, ces thèmes sont abordés avec fraîcheur et légèreté. Il y a aussi dans ce livre des petites vérités toutes simples qui s’égrainent ici et là, et rendent sa lecture apaisante. Par exemple, lorsque la gorille explique à Jonna qu’elle préfèrerait vendre des livres que des babioles : « c’est plus dur de vendre des livres que des babioles, je ne sais pas pourquoi » ; ou lorsque Jonna se rend finalement compte qu’elle ne souhaite plus que la gorille change, mais que c’est aux autres de changer…

Ma mère est un gorille (et alors?) est le premier livre traduit en français de Frida Nilsson, auteure suédoise qui rencontre un grand succès dans son pays. Avec ce roman elle signe un livre plein d’humanité et de tendresse, mais aussi une aventure digne d’Oliver Twist (le livre de chevet de la gorille) qui plaira à coup sûr aux enfants de 9 ans et plus !

Ma mère est un gorille (et alors?), Frida Nilsson, Bayard jeunesse, "Estampille", 2011

mercredi 29 août 2012

"Traverser la nuit", Martine Pouchain

"Pour voir resplendir l'aube"...


Vilor est flic à Etrenjoie, un bled paumé en Picardie. Les journées s'étirent au rythme des verres de gnôle et des conversations au zinc de l'unique bistrot d'Etrenjoie. Le sujet des conversations tourne souvent autour d'une seule et même personne, Blanche, une beauté juvénile sur laquelle tous les hommes se retournent et perdent la tête... C'est le meurtre du maire, qui se trouve être aussi le père de Blanche, retrouvé égorgé et noyé dans la fontaine du village, qui va mettre Etrenjoie en émoi...
Qui est donc le meutrier de Jacques Jaron? Dans ce village où tout le monde connaît la vie de tout le monde et s'observe, il est difficile de garder un secret... On suit le déroulement de l'enquête au travers du regard de Vilor, qui raconte l'histoire comme il l'a vécue. Il commence d'ailleurs le livre comme cela : " "A quoi ça sert d'inventer des histoires, alors que la réalité est déjà tellement incroyable?" C'est une détenue de je ne sais quelle prison pour je ne sais quel crime qui a dit ça un jour. Et c'est exactement ce que j'ai pensé quand j'ai eu envie de vous raconter la mienne, d'histoire."

Ce qui fait la richesse de ce livre, c'est cette palette de personnages imparfaits mais attachants à l'accent à couper au couteau, l'ambiance parfaitement restituée de ce village picard avec son histoire, ses coutumes et son pâtois, mais aussi la personnalité tourmentée du narrateur.

L'enquête devient alors prétexte à la description de toute ce petit monde qui gagne en épaisseur au fil des pages. Secrets de familles, violences, misère, au final le roman ce révèle d'une densité prenante. L'écriture de Martine Pouchain atteint une dimension nouvelle où le parlé très imagé de Vilor, frôle par moment la poésie, notamment pour décrire les atmosphères : "J'ouvre la lucarne pour laisser entrer les étoiles. J'ai dans l'idée qu'elles se sentent ici comme chez elles. Un agnus dei ruisselle dans l'air tiède, tapisse le soir de son vernis liturgique et le paysage aussitôt se transfigure, mute cathédrale. La faune nocturne commence à s'aventurer hors des terriers, et ses chuintements, glapissements, hululements se mêlent aux trépidations de l'orgue."

L'atmosphère devient, au fil des pages, de plus en plus pesante et l'intrigue, fort bien menée de bout en bout, jusqu'au retournement final, se révèle plus surprenante que prévue! Mais je ne dirai rien. Que si in meule deminde*!

* Que si on me le demande

 Traverser la nuit, Martine Pouchain, Editions Sarbacane, 2012

vendredi 24 août 2012

"Du vent dans mes mollets", Raphaële Moussafir

Avant sa sortie au cinéma, j'ai eu envie de lire ce petit roman de Raphaële Moussafir. Comédienne de profession, elle écrivit ce texte pour le théâtre à la base. Raconté à la première personne, ce texte est l'histoire d'une petite fille de 9 ans, Rachel, un peu farfelue (elle dort toute habillée et avec son cartable), qui se rend chez sa psy, Madame Trebla, à la demande de ses parents. Drôle et attendrissante, elle fait preuve d'une grande sagacité pour son âge de même qu'une vision plutôt acerbe du monde des adultes! "J'ai eu envie de dire à madame Trebla que je ne suis pas curieuse mais que quand je m'emmerde, je fais comme tout le monde : je fais semblant de lire ce qu'il y a sur les murs pour pas qu'on voie que je m'emmerde."

Derrière son petit côté fantasque, il y a surtout le deuil et l'absence de sa grand-mère défunte, mais aussi l'incompréhension de la mort très présente tout au long du livre : "J’ai remarqué que quand on est triste ou qu’il y a une mauvaise nouvelle, la vie autour ne change pas. Comme le jour où mamie est morte, j’étais dehors, et il y avait du vent, et quand on m’a dit que mamie était morte, il a quand même continué à y avoir du vent dans mes mollets. Quand on est triste, les objets ne sont pas tristes et ils font comme si de rien n’était, et ça, ça me rend encore plus triste."

Heureusement, Rachel a une meilleure amie, Hortense, avec qui elle fait les 400 coups. Mais là encore, Rachel n'est pas au bout des ses peines, et même si l'histoire finit bien pour elle (on connaît enfin la raison pour laquelle elle dort toute habillée), on ne peut s'empêcher de verser quelques larmes au bout du compte.

L'écriture de Raphaële Moussafir est proche du parler enfantin et c'est vrai qu'on pourrait s'y méprendre, mais le regard qu'elle porte sur sa vie et celle de son entourage est plus proche de celui d'une adulte. Par ailleurs, l'âge de la narratrice ne correspond pas vraiment à l'âge de lecture. Mais pour ma part, en tant qu'adulte, j'ai beaucoup aimé ce livre!





mercredi 22 août 2012

"Rien", Janne Teller, éditions du Panama, 2007


Derrière ce drôle de titre se cache l’histoire d’une classe de 4ème d’un collège danois, bouleversée par le départ inopiné d’un de leur camarade de classe, Pierre Anthon. Un jour, celui-ci décide tout simplement de quitter le cours et de ne plus jamais revenir. La raison ? Pour lui, rien ne signifie rien. L’école, la vie, la mort... Rien. « La vie n’est qu’un jeu qui consiste à exceller dans l’art de faire semblant et d’y être précisément le meilleur », d’après lui. Toute la classe est chamboulée par son départ et par ses paroles. D’autant que Pierre Anthon est loin de se faire oublier puisqu’il a élu domicile dans un prunier près de l’école. De là, il peut balancer à qui ne veut pas l’entendre, ses maximes nihilistes : « Et pourquoi est-ce si important d’apprendre à dire merci, et de rien, et bonjour, et comment allez-vous, quand bientôt aucun d’entre nous n’ira plus nulle part… »
Pour échapper à ce néant qui les guette, toute la classe décide de prouver à Pierre Anthon que la vie a un sens. Chose délicate et surtout intangible. Mais pas pour eux…
L’histoire est racontée par Agnès, une élève de la classe. Elle décrit ce que représente « la signification » pour chaque enfant, jusqu’à ce que tout dégénère. On suit donc le cheminement de cette tragédie à travers son regard. Un regard détaché, presque médical, sans jugement de valeurs sur ces évènements mais qui explique comment le doute et l’aspiration au néant s’insinuent progressivement en chacun.
Jusqu’à la folie. Et ça fait froid dans le dos ! Par certains côtés, ce livre m’a fait penser à Sa Majesté des mouches de William Golding, ou comment les enfants entre eux sont capables du pire pour survivre. Un Rien qui n’est pas rien !

lundi 20 août 2012

"La fois où je suis devenu écrivain", de Vincent Cuvellier

Auteur pour la jeunesse à succès, Vincent Cuvellier n’a pourtant pas toujours connu la gloire, et c’est ce qu’il raconte dans cette courte autobiographie d’une soixantaine de pages.
Adolescent très moyen à l’école voire médiocre, Vincent ne souhaite qu’une seule chose : devenir écrivain. Mais vu ses résultats scolaires, personne n’y croit ! A 16 ans, on lui suggère même fortement d’arrêter les études ! Le voici donc à 16 ans, chômeur et pointeur à l’ANPE (du temps où ça n’était pas Pôle emploi…) sans diplômes. Mais bon, comme ce qu’il veut faire dans la vie c’est poète maudit et qu’il n’existe aucune formation pour cela, les diplômes il s’en moque un peu. Il se retrouve donc à faire de petits boulots, juste histoire de s’occuper un peu en attendant des jours meilleurs.
Et un beau jour, un ami l’informe d’un concours d’écriture national : le Prix du jeune écrivain. Vincent se lance et donne tout. L’inspiration vient progressivement, il tente une nouvelle forme d’écriture, proche de l’oralité. C’est violent, c’est choquant et ça met mal à l’aise mais le talent est là. D’ailleurs, il va l’obtenir ce prix ! Le problème, c’est qu’une fois le prix obtenu, et tout ce qui s’en suit, l’inspiration ne vient plus. Commence alors pour lui une longue période d’errance et d’expérimentations de toutes sortes. Une période où il va se chercher. Cette recherche prend fin le jour où il découvre la littérature jeunesse et toute l’étendue de créativité et de liberté de ton qu’elle recèle !
Toujours avec humour et un sens acéré de la synthèse, Vincent Cuvellier réussit une fois de plus à tenir son lecteur, ado ou non, et s’amuse de cet exercice si classique qu’est l’autobiographie.